Article written by Victor Bonnot, in French.

Degemer Mat ! À travers le Monde, il existe plusieurs centaines de drapeaux régionaux activables en emoji. Un nouveau drapeau veut aujourd’hui les rejoindre : le drapeau breton. En effet, depuis 2018, le mouvement http://www.bzh fait du lobbying digital dans un but précis : faire du drapeau breton, le Gwenn Ha Du, un bel emoji sur nos claviers.
Le Gwenn Ha Du est l’emblème de la Bretagne (France). Né dans les années 1920, il est noir et blanc et les neuf bandes comme les onze hermines qui le composent font son charme. En Bretagne, il a été signe d’unité politique des différents évêchés et est toujours un symbole majeur d’identification culturelle. Aujourd’hui sa connaissance dépasse les frontières du pays celto-français. Les Bretons étant voyageurs, le Gwenn Ha Du est même devenu au fil des années « reconnu » à l’international. En effet, soyez sûr que vous retrouverez toujours ce drapeau noir et blanc fièrement tenu entre les mains d’un Loïc ou d’une Nolwenn dans une « Full moon party » aux quatre coins du globe.
Ce drapeau joue donc un rôle important en tant que marqueur culturel régional depuis maintenant près d’un siècle. Va-t-il désormais devenir un marqueur que vous utiliserez quotidiennement pour ponctuer vos messages ?
En septembre 2018, l’association http://www.bzh —créateur du nom de domaine « .bzh » — dépose un dossier auprès du consortium Unicode pour la création d’un emoji à l’image du Gwenn Ha Du. Cette idée rassemble et permet notamment de voir ce mouvement de « lobbying breton » soutenu par une pétition de 25 000 signatures et une campagne de financement participatif ayant réunit plus de 22 000 euros. Toutefois, un problème pour l’avenir digital du Gwenn Ha Du reste à surmonter. En effet, avant de satisfaire la demande de http://www.bzh, Unicode souhaite s’assurer de la potentielle popularité du drapeau en préconisant son adoption sur les réseaux. Les principaux réseaux sociaux, comme Facebook ou Twitter, n’ont pas (encore) répondu aux sollicitations de l’association. Une grande campagne de communication sera lancée à partir de janvier 2020 pour renforcer la voix de la région du binioù.
Peut-être vous demandez vous quel est l’intérêt d’écrire un article sur cette belle région, à part par pure fierté subjective ? Certes ce mouvement breton représente une manière originale de faire rayonner les symboles d’une culture régionale (et ça, ça fait plaisir). De plus, il représente un enjeu économique et touristique important à travers la promotion culturelle qui lui est inhérent. Cependant, en dépassant le seul cadre de la Bretagne, cette « emojisation » des drapeaux régionaux, et donc par extension des identités régionales, met en lumière un enjeu politique majeur : l’expression du régionalisme —voire du nationalisme.
D’un point de vue culturel, le régionalisme représente la recherche d’identificateurs d’une culture commune. Par exemple, les Bretons se reconnaitront donc dans quelques marqueurs culturels —quelque fois à la frontière du simple marketing— comme les crêpes et galettes, le cidre et le chouchen (excellent alcool à base de pomme que je vous recommande), ou encore l’émotionnante musique des Bagads et les dansants Fest Noz.
En revanche, le pan politique du régionalisme est une problématique plus sensible. En tant que projet politique, la volonté de valoriser l’identité régionale peut varier d’une simple reconnaissance des composantes de cette identité par l’État à des doctrines autonomistes voire indépendantistes. Et là, l’emoji régional devient un objet stratégique. Dans son cas, la Bretagne n’a aucune allégation politique à travers son projet qui relève plus d’un dessein culturel et économique. Mais quid de territoires revendiquant un projet politique beaucoup plus fort ? Dans un contexte, notamment européen, de montée en puissance de certains régionalismes —à la frontière du nationalisme pour certains—, l’existence d’un emoji à l’image du drapeau régional pourrait constituer un objet politique de revendication aisément utilisable et identifiable. Les réseaux sociaux jouant un rôle majeur dans l’expression politique, l’usage du seul drapeau dans un tweet ou comme légende d’une photo Instagram pourrait avoir une forte portée symbolique. Bien entendu, n’exagérons pas le poids géopolitique du seul emoji, mais reste qu’il peut être un outil symbolique efficace.
Ainsi, de part les enjeux qu’il représente, la question reste ouverte de savoir si nous verrons un jour l’ensemble l’emoji des 281 drapeaux régionaux de l’UE sur nos claviers européens. Toutefois, commencer par celui de la Bretagne serait tout de même sympa. Trugarez.
Pour résumer: petit emoji pour nos smartphones, grands enjeux pour nos régions. Kenavo ar c’hentañ !
Article published on December 2019