Article written by Vincent Mendes Dos Reis, in French and English.

Le centralisme français à l’ère de la Covid-19 : Le réveil de la Force régionale
Le centralisme à la française semble inscrit dans notre ADN culturel et historique. Tout enfant Français apprend à l’école que Louis XIV a uni le territoire, que la Révolution a réaffirmé la centralité de notre administration depuis Paris, que Napoléon – père du Code civil – a unifié le droit et les institutions et que la Troisième République est venue forger notre identité unique (en éradiquant les cultures locales et régionales).
C’est ainsi que dans l’imaginaire de la majorité des Français, l’administration de l’État est centralisée depuis Paris ; c’est d’ailleurs un plan de décentralisation de l’État qui a poussé le Général De Gaulle à quitter le pouvoir en 1969.
L’émergence des régions comme instrument décentralisé du pouvoir administratif apparaît en 1956. Elles ne représentent alors que des entités juridiques d’exercice du pouvoir local, mais elles n’ont eu de cesse de gagner en compétences ces dernières années. Constitutionnalisées en 2003, on en compte 18 depuis la réforme de 2016 (13 en métropole et 5 en outre-mer).
Créées depuis Paris, on leur reproche souvent de ne pas tenir compte des réalités culturelles locales, d’être ambiguës, trop éloignées des enjeux locaux et cela participe à l’incompréhension ainsi qu’au désintérêt des Français quant à leurs rôles et fonctions… Ainsi en février 2021, la majorité des Français affirmaient mal connaître leurs élus régionaux et 53 % ne pas connaître leur président de Région.
C’est dans ce contexte qu’a émergé la crise sanitaire liée à la covid-19 à la fin de l’année 2019. Cette crise qui s’est ouverte dans la verticalité a très vite mené à une réévaluation du local qui a poussé les entités régionales à prendre conscience de leur place, à innover, à s’opposer à Paris et à s’organiser. Mais cette évolution des pratiques a pu se faire en partie grâce à l’appui d’un élément extérieur : l’Union européenne, qui a su apporter un soutien économique et politique constant.
Le 16 mars 2020, le Président de la République annonce l’instauration d’un confinement, dans une ambiance très grand siècle que seule la France connaît, et qui renforce cette image de centralité et de verticalité. Mais très vite ce centralisme va montrer ses limites et c’est ainsi que les régions ont pu reprendre en partie la main.
C’est la région Grand-Est qui en mars 2020 va prendre les devants en ouvrant les négociations avec les régions frontalières allemandes afin de transférer les patients français vers les hôpitaux allemands, dans le but de contrebalancer la surcharge des hôpitaux français (cette initiative sera très rapidement soutenue par les gouvernements français et allemand). La région va aussi utiliser ses propres fonds pour s’appuyer sur les industries locales afin de les réorienter vers la production de fournitures médicales, demandées par les instances sanitaires.
La nomination de Jean Castex montre clairement une ambition de renégocier le pacte social préalablement existant entre l’État et les pouvoirs locaux pour sortir de la crise
D’autres régions suivront en mettant en place divers mécanismes de soutien à leurs entreprises et leurs populations.
Conscient de ce changement de paradigme, le Président décide alors en juillet 2020, après le départ du Premier ministre, de nommer M. Jean Castex, réputé être un fin politicien local et régional. Ce changement montrant clairement une ambition de renégocier le pacte social préalablement existant entre l’État et les pouvoirs locaux pour sortir de la crise.
Mais ce mouvement de remise en cause, enclenché, va déboucher sur une crise politique entre Paris et les territoires, qui culmine en août 2020 dans ce que certains médias ont appelés le « Duel Paris – Marseille » (qui pour une fois n’était pas lié au football).
Alors que le nombre de cas augmente de façon significative à Marseille, et en plein débat sur la chloroquine avec le professeur Raoult (praticien à Marseille), le gouvernement français commence à s’inquiéter et à ouvrir la voie à un confinement de la région. C’est dans ce cadre que le 27 août le Premier ministre décide d’organiser une conférence de presse sur la situation à Marseille. Se sentant stigmatisés et ignorés, la Mairie de Marseille décide alors, avec le soutien du département et de la région, d’organiser une conférence de presse rivale au même moment. Ces derniers vont alors reprocher, de façon transpartisane, un « gouvernement qui décide depuis Paris » (Mme Michèle Rubirola, Maire de Marseille, socialiste), un gouvernement qui stigmatise une partie du territoire (Mme Martine Vassal, Présidente du Conseil départemental, conservatrice). Le Président de la région allant même jusqu’à faire un parallèle avec la peste de Marseille de 1720… Ils affirment alors être en capacité d’établir leurs propres outils statistiques et leurs propres traitements médicaux.
Quelques semaines après ces annonces frôlant le sécessionnisme, les pouvoirs locaux vont alors exprimer leur volonté de s’unifier et de s’affirmer face à l’État lors du « 16ème Congrès des régions », en octobre 2020. Le média Les Echos résume ainsi la situation « Les régions (sont) prêtes à plus de responsabilités pour soutenir l’État face à la crise sanitaire » et la Présidente de la région Ile-de-France comparera son rôle à celui d’un capitaine d’un bateau en pleine tempête.
En 2021, alors que nous venons de fêter le triste anniversaire de la crise sanitaire, le rôle des régions dans le paysage politique et institutionnel français semble avoir évolué. Ces dernières n’hésitent plus à afficher leurs ambitions et ont un rôle accru dans la concertation avec le pouvoir central. C’est ainsi qu’une politique de différencialisation semble s’être imposée dans la gestion de la crise avec des confinements désormais actés territoire par territoire, région par région, département par département. Avec d’une part des régions qui connaissent des confinements tels que les Alpes Maritimes et la métropole de Dunkerque, décidés la plupart du temps localement, et d’autre part des localités qui commencent à réclamer des déconfinements comme ce put être le cas en Bretagne.
Après un an de crise, il est désormais possible de voir que les régions françaises sont ressorties plus fortes pour faire entendre leurs voix, mais ont aussi gagné leur place dans le mécanisme de décision avec le pouvoir central.
Mais cette capacité d’action régionale n’aurait pu être aussi efficace sans l’appui du troisième acteur qu’est l’Union européenne.
Depuis la réforme régionale de 2014, les régions françaises ont reçu la compétence pour gérer de façon autonome les divers fonds européens (FSE- FEDER-FEADER) et c’est la mise en œuvre de cette capacité qui leur a permis d’agir de façon rapide dans le cadre de cette crise sanitaire.
Outre cette capacité de gestion, ce sont plus généralement les instances européennes qui ont facilité la délivrance de liquidités.
Ainsi, afin de les aider l’Union européenne a, dès le début de la crise, fait évoluer ses pratiques à travers l’adoption en avril 2020 du « Coronavirus response invest initiative » (CRII). En facilitant l’accès aux liquidités, les régions françaises ont pu s’organiser plus facilement, commander du matériel médical (comme ce fut le cas dans le Grand Est, en Martinique, en Bretagne) mais aussi organiser des plans de soutien aux entreprises comme en Ile- de- France.
Se pose cependant la question des enjeux derrière les prises de positions si tranchées de certains exécutifs de régions. Alors que toutes les régions sont aujourd’hui contrôlées par les partis d’opposition et que se profilent les élections en juin 2021, il semble légitime de s’interroger sur de possibles visées politiques de ces mesures.
L’Union européenne a ainsi cherché à affirmer son soutien lors du Congrès des régions en octobre 2020 à travers la présence du président du Comité européen des Régions (M. Apostolos Tzitzikostas) et la Présidente de la BCE (Mme Christine Lagarde).
La BEI a aussi choisi d’appuyer les régions en mettant en place un plan qui vise à faciliter l’octroi des prêts et avec un plan d’investissement de 25 milliards d’euros pour l’appui de projets régionaux.
La crise sanitaire semble donc avoir permis aux régions françaises de s’imposer dans le centralisme qui définit classiquement le système politique et administratif français. Les divers confinements locaux n’incluent désormais que très peu d’annonces du Président de la République et semblent laisser davantage de place aux élus locaux.
Se pose cependant la question des enjeux derrière les prises de positions si tranchées de certains exécutifs de régions. Alors que toutes les régions sont aujourd’hui contrôlées par les partis d’opposition et que se profilent les élections en juin 2021, il semble légitime de s’interroger sur de possibles visées politiques de ces mesures. Fait-on face à un véritable regain pour les politiques locales et régionales ? Ou bien ne s’agit-il là que d’un positionnement politique ? Seul l’avenir nous le dira…
Mais malgré ces interrogations le fait est que, selon un sondage Odoxa de février 2021, les intentions de vote des Français aux prochaines élections régionales semblent en nette hausse par rapport à l’avant crise mais aussi par rapport aux dernières élections régionales de 2015. On estime à 60% le possible futur taux de participation contrairement aux 50% de 2015.
French centralism in the Covid-19 era:The awakening of the Regional Force
Centralism à la Française seems to be part of our cultural and historical DNA. Every French child learns at school that Louis XIV united the territory, that the Revolution reaffirmed the centrality of our administration in Paris, that Napoleon – father of the Civil Code – unified the law and the institutions and that the Third Republic came and forged our unique identity (by eradicating local and regional cultures).
This is how, in the minds of most French people, the administration of the State is centralised from Paris; in fact, it was a plan for State decentralisation that pushed General De Gaulle out of power in 1969.
The emergence of regions as a decentralised instrument of administrative power goes back to 1956. At that time, they only represented legal entities for the exercise of local power, but they have steadily been gaining in competences in recent years. Constitutionalised in 2003, there are now 18 of them since the reform of 2016 (13 in metropolitan France and 5 overseas).
Created by the central administration in Paris, they have been frequently criticised for their lack of consideration for local cultural realities, for their ambiguity, for being positioned too far from local issues, and this contributes to the lack of understanding and interest of the French towards their roles and functions. As a result, in February 2021, the majority of French people stated that they did not know their regional representatives, and 53% of them did not know their regional president.
It is in this context that the Covid-19 health crisis emerged at the end of 2019. The management of this crisis, which started vertically, quickly led to a re-evaluation of the local level, pushing regional entities to become aware of their position, to innovate, to confront Paris and to reorganise themselves. However, this change in practices was made possible in part thanks to the support of an external element: the European Union, provided constant economic and political support.
On 16 March 2020, the President of the Republic solemnly announced the establishment of a confinement, in a very Grand siècle atmosphere that only France knows, reinforcing this image of centrality and verticality. But this centralism quickly showed its limits and regions were able to regain the upper hand.
The appointment of Jean Castex as Prime Minister clearly shows an ambition to renegotiate the social pact that previously existed between the State and local authorities in order to get out of the crisis
It is the Grand-Est region which in March 2020 took the lead by opening negotiations with the German border regions to transfer French patients to German hospitals in an attempt to counterbalance the overloading of French hospitals (this initiative quickly gained the support of the French and German government). The region also used its own funds to rely on local industries in order to redirect them towards the production of medical supplies requested by the health authorities.
Other regions followed up by setting up various support mechanisms for their businesses and populations.
Aware of this paradigm shift, the President decided in July 2020, after the resignation of Edouard Philippe as Prime Minister, to appoint Mr Jean Castex, reputed to be a fine local and regional politician, to this position. This change clearly shows an ambition to renegotiate the social pact that previously existed between the State and local authorities in order to get out of the crisis.
But this newly activated wave of questioning led to a political crisis between Paris and the regions, culminating in August 2020 in what some media have called the “Paris – Marseille Duel” (which for once was not linked to football).
While the number of cases was increasing significantly in Marseille, and amid a debate on chloroquine led by Professor Didier Raoult (a practitioner in Marseille), the French government began to worry and paved the way for a containment of the region. It is in this context that on 27 August the Prime Minister decided to organise a press conference on the situation in Marseille. Feeling stigmatised and ignored, the Marseille City Hall decided, with the support of the department and the region, to organise a rival press conference at the same time. They pointed at, in a transpartisan manner, a ” government who decides from Paris ” (Mrs. Michèle Rubirola, Mayor of Marseille, Socialist), a government who stigmatises part of the territory (Mrs. Martine Vassal, President of the County Council, Conservative). The President of the Region (Mr. Renaud Muselier, Conservative) went as far as to draw a parallel with the plague in Marseille in 1720… They then claimed to be able to establish their own statistical tools and their own medical treatments.
A few weeks after these announcements bordering on secessionism, the regional authorities expressed their will to unify and assert themselves in front of the State during the “16th Congress of the Regions” in October 2020. The media Les Echos sums up the situation as follows: “The regions (are) ready to take on more responsibility to support the State in the face of the health crisis” and the President of the Ile-de-France region compares her role to that of a boat captain in the middle of a storm.
In 2021, while we just celebrated the tragic anniversary of this health crisis, the role of the regions in the French political and institutional landscape seems to have changed. They no longer hesitate to express their ambitions and play a greater role in consultation with the central government. As a result, a policy of differentiation seems to have been imposed in the management of the crisis, with confinements now established territory by territory, region by region, department by department. With on the one hand regions that experience confinements, decided most of the time locally, such as the Alpes-Maritimes and the metropolis of Dunkerque and on the other hand localities that are beginning to demand deconfinements as was the case in Bretagne.
After a year of crisis, it is now possible to see that the French regions have emerged stronger to make their voices heard but have also gained their place in the decision-making mechanism with the central power.
However, this capacity for regional action could not have been as effective without the support of the third player, the European Union.
Since the regional reform of 2014, the French regions have received the competence to autonomously manage the various European funds (ESF-ERDF-EAFRD) and it is the implementation of this capacity that has enabled them to act quickly in the context of this health crisis.
In addition to this management capacity, it was more generally the European bodies that facilitated the provision of liquidity.
Thus, to help them, the European Union has, from the beginning of the crisis, changed its practices through the adoption in April 2020 of the “Coronavirus response invest initiative” (CRII). By facilitating access to cash, the French regions have been able to organise themselves more easily, order medical equipment (as was the case in the East of France, Martinique and Brittany) and also to organise support plans for businesses such as in the Ile-de-France region.
The European Union therefore sought to affirm its support at the Congress of the Regions in October 2020 through the presence of the President of the European Committee of the Regions (Mr Apostolos Tzitzikostas) and the President of the ECB (Ms Christine Lagarde).
The EIB has also chosen to support the regions by putting in place a plan to facilitate the granting of loans and with a €25 billion investment plan to support regional projects.
However, the question arises as to what is at stake behind the strong positions taken by some regional executives. While all the regions are today controlled by opposition political parties and the elections in June 2021 are looming, it seems legitimate to wonder about the possible political aims of these measures.
The health crisis seems therefore to have allowed the French regions to impose themselves in the centralism that classically defines the French political and administrative systems. The various local confinements now include very few announcements by the President of the Republic and seem to leave more room for local elected representatives.
However, the question arises as to what is at stake behind the strong positions taken by some regional executives. While all the regions are today controlled by opposition political parties and the elections in June 2021 are looming, it seems legitimate to wonder about the possible political aims of these measures. Is there a real revival in local and regional politics? Or is this merely political positioning? Only time will tell…
But despite these questions, the fact is that, according to an Odoxa poll of February 2021, the voting intentions of the French in the next regional elections seem to be clearly on the rise compared to the pre-crisis period but also compared to the last regional elections of 2015. It is estimated that the probable future rate of participation will be 60% as opposed to the 50% of 2015.